La gestion normale du patrimoine privé : Quand une gestion privée est assimilée à une gestion lucrative

Partager cet article

Un article paru dans La Libre Eco (LLB) du 1er octobre 2002

Dans son projet de réforme fiscale, le Ministre des finances prévoit l’introduction d’une taxation généralisée des plus-values sur actions. Actuellement, lorsqu’une personne vend des actions dans le cadre de la gestion normale de son patrimoine privé, elle n’est pas taxée sur la plus-value qu’elle réalise. Elle n’est taxée que si elle agit dans un cadre professionnel ou en-dehors d’une gestion normale de son patrimoine privé.

Mais que recouvre cette notion de « gestion normale de son patrimoine privé » qui permet d’éluder la taxation quand le contribuable agit en-dehors de son activité professionnelle pour vendre des actions mais également un immeuble ou d’autres objets mobiliers ?

Mme D. dispose d’un portefeuille d’action et d’immeubles. Lors de la vente de l’un ou l’autre bien, l’administration fiscale aura tendance à considérer qu’elle agit effectivement dans le cadre d’une gestion normale de patrimoine privé non taxable tant qu’elle agit sans but de spéculation ou que la fréquence des opérations n’est pas significative d’une occupation lucrative,

Dans le cas contraire, elle sera taxée au taux marginal si l’opération s’apparente à une activité professionnelle, ou au taux de 33% si l’opération peut paraître anormale.

Mais qu’est-ce qu’une opération anormale ? Il est usuellement fait usage de la notion « bon père de famille » : Pour apprécier si une vente d’actions ou d’immeuble constitue une opération de « gestion normale » de patrimoine, il faut se référer au comportement d’un homme normalement prudent placé dans la même situation : il faut donc, le cas échéant, tenir compte de l’importance et de la nature de son patrimoine.

 

Quels sont les indices d’une gestion anormale de patrimoine ?

A cet égard, ce sera souvent la conjonction de plusieurs éléments qui accolés les uns aux autres fera que le fisc considérera ou non l’existence d’un acte de gestion normale …

Lors d’une vente d’immeuble, la jurisprudence montre que le recours à un emprunt bancaire, lorsqu’il y a également d’autres opérations immobilières en parallèle, comme la création d’un lotissement, ou que l’emprunt est commune mesure avec la fortune réelle de l’intéressé sont des signes de gestion anormale.

Un délai bref entre l’achat et la revente est un signe que l’acquisition a été réalisée avec une intention spéculative.

Mais gérer en bon père de famille, ce n’est pas gérer bravement son patrimoine, sans prendre de risques et sans connaissance particulière. Dans un jugement du 24 juin 2019, le Tribunal de première instance de Bruges a rappelé que pour demeurer une gestion normale, l’opération doit être une opération habituellement posée par un bon père de famille qui souhaite faire croître et conserver son patrimoine. Il peut s’agir d’une personne qui a une vie professionnelle active. Prenons un entrepreneur qui a créé une société dans laquelle il a tant œuvré toute sa vie que sa société a réalisé de magnifiques bénéfices au fil des ans. Lorsque ce dernier vend ses actions, certes, la plus-value qu’il réalise résulte de son travail et de la bonne gestion de l’entreprise, mais cela n’empêche nullement que son patrimoine privé, quant à lui, ait été géré de façon normale, en ce compris la gestion de ses actions de sa société opérationnelle.

Il ne peut non plus être requis d’un bon père de famille qu’il gère son patrimoine de manière simple, si une gestion plus complexe s’impose aux fins de faire fructifier ledit patrimoine : ainsi, un contribuable disposant de 25.000,00€ dans son patrimoine privé, ne gérera pas ce dernier de la même manière que celui qui dispose de plusieurs millions d’euros et la normalité des opérations réalisées doit donc s’analyser au cas par cas, en fonction des circonstances du cas d’espèce.

 

Une personne prudente et raisonnable qui effectue une opération de gestion normale : le concept n’est-il pas insuffisamment balisé au risque de créer une insécurité juridique ?

La Cour constitutionnelle a répondu à cette question dans un arrêt du 24 février 2022. Elle a estimé que l’administration et le juge ont un large pouvoir d’appréciation. Aussi, des divergences peuvent effectivement exister entre les différentes décisions rendues. Pour des faits similaires, des fonctionnaires ou magistrats différents pourraient adopter des positions opposées. Mais ces éventuelles divergences n’enlèvent pas à la disposition légale son caractère suffisamment précis. La Cour confirme la légalité de la disposition : il n’y a pas d’insécurité juridique.

La prudence est donc de mise quand on acquiert et on revend un immeuble, des actions… le faire à titre privé est une chose, le faire via une gestion normale de son patrimoine privé une autre. Nous verrons bien si le principe de la gestion normale perdurera en ce qui concerne ces plus-values sur actions, mais pour l’heure, le principe demeure : pas de taxation quand on agit en bon.nne père.mère de famille.

Anne-Thérèse Desfosses

Partager cet article