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La saga de l’enregistrement des baux d’habitation Ou comment nos gouvernements utilisent l’argent du contribuable et encombrent nos tribunaux…

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Un article que je publiais dans la Libre Eco du 6 mai 2025

En Belgique, les règles relatives à la répartition des compétences peuvent s’avérer complexes. En effet, une matière donnée peut relever simultanément de la compétence de l’autorité fédérale et de celle des entités fédérées, chacune étant habilitée à intervenir sur des aspects spécifiques de ladite matière.

Ainsi, en ce qui concerne les baux, les Régions sont depuis 2014 compétentes pour l’ensemble des dispositions relatives aux baux d’habitation. Toutefois, l’autorité fédérale conserve sa compétence en matière d’obligations liées à l’enregistrement des baux.

A Bruxelles, les règles relatives au bail d’habitation sont reprises dans le Code bruxellois du logement et le législateur régional a eu l’idée d’y insérer une obligation pour le bailleur de se soumettre à la formalité de l’enregistrement du bail, mais en supprimant l’enregistrement du régime fédéral, alors qu’il s’agit d’une compétence exclusivement fédérale.

Sur le plan civil, si un bail n’est pas enregistré, le locataire peut quitter les lieux à tout moment, sans délai de préavis ni paiement de quelqu’ indemnité que ce soit.

Sur le plan fiscal, l’enregistrement est gratuit quand il concerne un bail de résidence.

Pour quelle raison le gouvernement bruxellois est-il venu empiéter sur les plates-bandes du fédéral ?

Aucune rentrée fiscale ne peut en effet être espérée de cette prise d’otage. L’idée présentée par le gouvernement bruxellois dans sa déclaration de politique régionale en 2019 était de créer une base de données centralisée lui permettant de disposer d’une image fidèle et objective du marché locatif, une plus grande transparence du secteur immobilier quant aux baux, loyers, garanties, état de lieux, PEB permis…

L’ordonnance du 28 octobre 2021 a instauré une commission paritaire chargée de rendre un avis sur la justesse du loyer pour tout bail privé d’habitation en région bruxelloise.

La base de données permet enfin aux agents de la Région de lutter contre les logements inoccupés et protéger les locataires contre les logements insalubres.

La Région estimait que les données fournies par les bailleurs par l’intermédiaire de MyRent –plateforme fédérale- présentent un caractère lacunaire et ne couvrent pas l’ensemble des éléments nécessaires à la réalisation des finalités régionales : la superficie des logements est rarement renseignée, de même que le nombre de chambres. Il faut dire que le fisc s’est habitué à avoir une connaissance de plus en plus élargie du patrimoine de ses contribuables… pourquoi s’arrêter en si bon chemin ! Surtout, la Région de dispose pas de la maîtrise de cet instrument, que ce soit au niveau de la collecte des données ou pour leur traitement.

Un avis du Conseil d’Etat clair mais ignoré

Le 5 février 2024, la section législation du Conseil d’Etat donnait un coup de semonce à la Région, lui rappelant que certes, elle disposait d’une compétence en matière de bail, mais pas celle de supprimer l’obligation d’enregistrement des baux organisée par le fédéral et visée par le code de droit d’enregistrement.

Le gouvernement bruxellois ignora cet avis par ordonnance du 25 avril 2024, estimant que le fédéral avait renoncé à l’impôt et laissait ainsi le champ libre à la Région pour légiférer dans cette matière, comme si la gratuité de la formalité équivalait une renonciation du fédéral à sa compétence fiscale.

C’est ainsi que la Région de Bruxelles organisa son propre système d’enregistrement des baux en contradiction avec les règles de compétences pourtant bien connues, contraignant le fédéral à intenter un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle à l’encontre de cette ordonnance.

Un arrêt sans surprise fut rendu le 3 avril 2025, rappelant l’évidence et le fondement de la compétence fiscale fédérale lui attribuée par l’article 170 de la Constitution : seul le fédéral est compétent pour déterminer les actes juridiques qui sont assujettis à l’obligation d’enregistrement. L’ordonnance bruxelloise a donc été annulée.

Une histoire navrante

Les contribuables belges apprécieront : leurs (lourds) impôts ont ainsi servi à financer l’incompétence, la négligence ou l’entêtement (biffez la mention inutile) puis les honoraires des avocats, le temps des magistrats et l’on en passe. Indécent.

 

Anne-Thérèse Desfosses – atd@wbgj.be

Associée chez WBGJ

Professeure à la CBCEC

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