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Télétravail transfrontière et établissement stable

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Le télétravail est à la mode, surtout à durée limitée (L’Echo du 21 octobre 2022). Mais il n’est pas rare que les facilités actuelles de communication incitent au télétravail permanent ou quasi-permanent. On songe aux entreprises belges qui engagent des talents étrangers ou, à l’inverse, des travailleurs belges qui sont embauchés par des entreprises étrangères. On songe aussi, même si ces cas peuvent déboucher sur d’autres questions d’ordre fiscal, aux entrepreneurs qui contribuent à la création d’une société à l’étranger mais qui la gèrent essentiellement depuis la Belgique.

 

Or, dans tous ces cas, dès lors que l’entreprise accepte que son employé ou son dirigeant établisse son lieu de travail au-delà des frontières de manière continue, une question fiscale essentielle PEUT se poser : celle de la présence au lieu d’occupation de ce travailleur ou de ce dirigeant, d’un établissement stable au sens fiscal du terme. Il faut rappeler en effet la définition de base d’un établissement stable sur le plan fiscal : « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité » (ce qu’on appelle l’établissement stable ‘matériel’). Si l’installation en question est établie dans un pays différent de la maison-mère, celle-ci y sera imposable sur les profits qu’elle y réalise, ce qui peut évidemment compliquer la gestion de l’ensemble.

 

Chaque cas est différent et je ne peux ici qu’esquisser les contours et les limites de cette règle. Je rappelle que, pour qu’il y ait un établissement stable matériel, quatre conditions doivent être remplies simultanément :

  1. il doit y avoir une ‘installation d’affaires’, par exemple un bureau ; 2. cette installation doit être ‘fixe’ c-à-d avoir un certain degré de permanence ; 3. cette installation doit être à la disposition de l’entreprise étrangère ; 4. tout ou partie des activités de l’entreprise étrangères doivent être exercées par l’intermédiaire de cette installation d’affaires.

Ces critères sont ceux qui ressortent des commentaires de l’OCDE sur le sujet, l’OCDE étant la principale inspiratrice des conventions interétatiques préventives de la double imposition. Il est évident que, de ces quatre critères, un seul peut sauver la mise. Pas les deux premiers : un bureau, même à domicile, est par hypothèse une installation fixe, dès lors qu’il est utilisé ‘avec un certain degré de permanence’. Le quatrième non plus : à moins qu’il exerce une activité de type ‘préparatoire ou auxiliaire’, le travailleur est appelé à participer, d’une manière ou d’une autre, à la rentabilité de l’entreprise et donc à ses ‘activités’. Reste le troisième critère. Selon le commentaire du Modèle de convention de l’OCDE, ce critère n’est rempli que si le bureau à l’étranger (à domicile ou non) est ‘mis à disposition de l’entreprise’. Or, le bureau n’est considéré comme mis à disposition que si soit l’entreprise a en quelque sorte obligé l’employé à travailler à partir de son domicile et qu’il n’a pas de lieu propre où travailler au siège de l’entreprise, soit l’entreprise s’est vu reconnaître le pouvoir effectif d’utiliser cet emplacement. Exemples : l’entreprise propose de mettre un bureau qu’elle prend elle-même en location ou dont elle est propriétaire à la disposition du travailleur. Ou bien encore, le travailleur convainc son patron de lui payer un loyer pour l’utilisation du bureau qu’il occupe à son domicile.

Bref, dans ces exemples, tous les critères de l’établissement stable matériel sont réunis, et se posera alors la question de l’attribution d’une partie des bénéfices de l’entreprise à cet établissement pour les y soumettre à l’impôt. Attention donc, si l’on veut éviter cet effet secondaire, à la manière dont la question du télétravail permanent ou quasi-permanent est réglée, en veillant notamment à rédiger la clause ad hoc du contrat de travail avec un soin particulier. Car même si le commentaire de l’OCDE n’est ni l’évangile, ni nécessairement adapté aux réalités de télétravail actuelles, on aurait tort de s’en désintéresser.

 

André Bailleux

Avocat

Chargé de cours émérite UCL Mons

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