En Belgique, il n’y a pas de secret bancaire pour le fisc

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Chicago, 1931. Eliot Ness a enfin trouvé la fêlure qui lui permettra d’en finir avec Al Capone, l’un des plus célèbres mafieux américains. Malgré des revenus de plusieurs millions de dollars… par semaine, l’homme ne payait pas d’impôt ! Et c’est l’absence de secret bancaire aux USA qui permettra de le piéger. Poursuivi et condamné pour fraude fiscale, le parrain passera par Alcatraz et autres résidences pénitentiaires. Rassurons-nous : pas de risque semblable en Belgique pour le contribuable ordinaire, même s’il n’y a pas davantage de secret bancaire fiscal en Belgique : tout au plus, un léger voilage pour contenir les excès, comme on va le voir.

 

Le secret bancaire fiscal repose sur deux idées principales : d’une part, le banquier a un devoir de discrétion à l’égard de son client ; s’il viole cette obligation, il est passible de dommages et intérêts ; d’autre part, le contribuable a le droit au respect de sa vie privée et familiale, ce qui l’autorise à refuser toute ingérence dans ses dépenses privées (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). Mais à l’inverse, la transparence bancaire a quelques arguments sérieux à faire valoir, elle aussi, principalement liés à l’équité : le secret bancaire fausse l’équité fiscale dans la mesure où il permet de camoufler la fraude. Ce qui veut dire, au fond, que le secret bancaire ne serait pas un problème si l’être humain naissait naturellement bon et le restait.

Bref, entre ces deux pôles, la loi fiscale cherche un équilibre, non sans hésitations. Qu’il suffise de rappeler que le code des droits de succession déroge au secret bancaire depuis une loi du 11 octobre … 1919. Celle-ci impose aujourd’hui encore aux établissements financiers de transmettre à l’Administration « la liste certifiée sincère et véritable des titres, sommes ou valeurs » dont ils sont détenteurs et qui appartenaient au défunt. De même, les banquiers doivent fournir sur demande tous renseignements qui sont « nécessaires à l’effet d’assurer la juste perception des droits de succession ». Avec toutefois deux filtres : d’une part, l’accord préalable de l’administrateur général de l’administration de la documentation patrimoniale ; d’autre part, une limitation aux trois années qui précèdent le décès (ainsi qu’aux opérations éventuelles qui suivent le décès). C’est une loi de 1936 qui a apporté cette limite de trois ans sur base de l’idée qu’il fallait « restreindre dans une mesure raisonnable l’exercice du droit d’enquête reconnu à l’Administration », car il est « exagéré » d’obliger les héritiers à justifier des opérations très anciennes. On notera au passage que ce type de scrupule a disparu dans le cadre de la DLU IV qui ne trouve pas ‘exagéré’ de taxer des capitaux dont il est impossible, même pour des héritiers, de justifier l’origine ‘propre’.

A l’impôt sur les revenus, on constate que le secret bancaire s’étiole décennie après décennie. Il y a longtemps que les législateurs successifs rêvent d’y mettre fin. Mais des raisons économiques (à l’époque du franc belge, ce dernier aurait souffert d’une transparence fiscale totale) et politiques (dans un pays qui est géré par des coalitions) ont longtemps freiné l’avènement du Grand Soir. Dès 1962, le fisc pouvait interroger les banques à l’occasion de l’instruction d’une réclamation. En 2006, le secret bancaire disparaissait à l’égard du receveur chargé du recouvrement de l’impôt. C’est dans le cadre du contrôle de l’établissement de l’impôt, que le principe du secret a été maintenu jusqu’à ce jour : interdiction pour l’Administration fiscale d’interroger directement les établissements financiers. Pas de ‘pêche aux informations’ ni d’accès direct aux comptes bancaires. Un certain secret bancaire subsiste donc, mais dès qu’il y a de ‘bonnes’ raisons de franchir cette interdiction, le fisc trouvera le chemin des comptes, y compris privés. Quelles sont ces ‘bonnes’ raisons ? Depuis une loi de 2011, il suffit que le fisc dispose d’indices de fraude ou qu’il estime devoir recourir à la taxation  par signes ou indices et que le contribuable sous examen n’ait pas accepté de donner lui-même les renseignements demandés sur ses comptes bancaires. C’est donc une procédure par étapes qui existe toujours aujourd’hui. Le secret peut également être levé, mais selon une procédure spécifique, lorsqu’un renseignement bancaire est demandé par un Etat étranger.

 

En 2018, pour faciliter la tâche de l’Administration qui ne savait pas nécessairement auprès de quels établissements le contribuable dispose de comptes bancaires, a été instauré un ‘point de contact central » (PCC) tenu par la BNB, avec obligation pour les banquiers, mais également pour les assureurs ou les sociétés de location-financement, de communiquer de multiples informations sur leurs clients, notamment leurs n°s de comptes, de contrats d’assurance, l’existence d’une location de coffres, etc. Le fisc a bien entendu accès à ce PCC. D’après les travaux parlementaires de la loi-programme, ce PCC aurait été consulté des milliers de fois depuis 2018, mais à 92 % dans le cadre du recouvrement d’impôts impayés et non dans le but d’établir un impôt. Car, bien entendu, le PCC est un outil très efficace lorsque les services de recette cherchent à procéder à des saisies-arrêts sur les comptes de contribuables récalcitrants.

C’est dans ce contexte ainsi brièvement esquissé que la nouvelle loi-programme a pris une décision apparemment assez limitée : imposer aux banquiers, assureurs, etc. de communiquer au PCC les soldes des comptes et des contrats de leurs clients. On ne précise pas la périodicité des communications ni les seuils à partir desquels elles devront avoir lieu : un arrêté royal s’en chargera. On peut se demander si cette nouvelle exigence était bien nécessaire dès lors que le fisc avait déjà, comme indiqué, toute latitude pour interroger les banques, etc. si le contribuable ne fournissait pas lui-même les informations. Y a-t-il des non-dits dans cette affaire ? Par exemple, constituer un cadastre des fortunes ? Appliquer un datamining fiscal ? Rechercher les capitaux ‘prescrits’ qui n’auraient pas été régularisés à la faveur de la DLU IV ? Toutes questions qui, à ce jour, n’ont donné lieu qu’à des réponses évasives.

André Bailleux

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