L’ISR : cent ans et en pleine santé

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Le contribuable belge soucieux de la ‘res publica’ n’aura pas manqué de commémorer le 29 octobre dernier le centième anniversaire de l’impôt sur les revenus. Il est toutefois peu probable qu’il ait sabré le champagne à cette occasion. Certes, le patriarche a toujours bon pied bon œil. Il s’offre des liftings plusieurs fois par an au prétexte de rester à la pointe des évolutions sociales. Mais, dans le même temps, il n’a pas arrêté de se gonfler d’importance : le code des impôts sur les revenus et ses annexes sont devenus aujourd’hui une usine à gaz dont personne ne peut prétendre maîtriser tous les méandres. Ariane, où est le fil ? Par ailleurs, ses ambiguïtés, incohérences et iniquités ne sont pas rares. On n’en fera pas l’inventaire mais on voudrait illustrer ces manquements par un exemple tiré de la jurisprudence récente. Un fonctionnaire mis à la retraite anticipée fait appel à un avocat pour engager une procédure contre l’Etat. Avec succès puisque le tribunal lui accorde une indemnité égale au salaire qu’il aurait dû percevoir jusqu’à l’âge légal de la retraite. Le fonctionnaire estime que les honoraires payés à son avocat sont une dépense professionnelle déductible, ce que la Cour d’appel reconnaît. Mais il y a un hic : le code des impôts sur les revenus prévoit que des honoraires ne sont déductibles que « s’ils sont justifiés par la production de fiches individuelles et d’un relevé récapitulatif établis dans les formes et délais déterminés par le Roi ». En l’occurrence, c’est une fiche 281.50 qui aurait dû être déposée avant le 30 juin de l’année qui suit celle des revenus. Notre contribuable a eu beau plaider que cette exigence était manifestement disproportionnée à l’égard d’un retraité comme lui et contraire au principe d’égalité. Rien n’y fit. Dura lex sed lex. Dura lex ? Assez curieusement, la loi est moins dure à l’égard des sociétés qu’à l’égard d’une personne physique, fût-elle fonctionnaire retraité. Certes, si une société omet d’établir lesdites fiches, elle peut être soumise à la cotisation spéciale pour commission secrète (égale en principe à 100 % du salaire ou des honoraires payés). Sauf qu’ici, la cotisation n’est pas due si la société démontre que le montant payé a bien été déclaré par son bénéficiaire ou si le bénéficiaire a été « identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de 2 ans et 6 mois ». Mieux, la Cour constitutionnelle a décidé récemment sur une question préjudicielle portant sur un avantage de toute nature accordé à un administrateur délégué, que ce délai n’était pas « raisonnablement justifié » dès lors que le bénéficiaire a pu être imposé dans un des délais d’imposition prévus par la loi. De plus, à l’impôt des sociétés, le code des impôts sur les revenus prévoit que lorsque la cotisation n’est pas due au motif que le bénéficiaire a déclaré le revenu ou été identifié dans les délais, les « dépenses non justifiées » (par les fiches) « sont considérées comme des frais professionnels » et sont donc déductibles. De leur côté, les personnes physiques qui paient des salaires, honoraires, commissions, etc. n’ont jamais été soumises à une cotisation spéciale telle que celle prévue par les sociétés. Faute de fiches et de relevés ad hoc, la dépense est simplement rejetée des frais professionnels, comme notre fonctionnaire retraité en a fait l’amère expérience. Résumons : notre retraité s’est vu refuser la déduction des honoraires payés à son avocat faute d’avoir rempli et déposé la fiche et le ‘relevé récapitulatif’, sans même qu’on lui permette de démontrer que l’avocat a bien déclaré ces honoraires ou que l’administration puisse vérifier que ce dernier a bien été taxé sur ce revenu. Il y a donc fort à parier que le revenu en question a été taxé deux fois. Si notre retraité avait été une société, dans les mêmes circonstances, elle aurait pu tranquillement déduire les honoraires payés (si l’avocat bénéficiaire les a effectivement déclarés), ce qui n’aurait été que justice. On rappellera au passage que l’obligation d’établir les fiches 281.50 pour les honoraires, commissions, etc. date de 1980. Auparavant, c’est l’Administration elle-même qui, en prenant connaissance des sommes payées dans les déclarations des débiteurs, établissait des fiches à destination du contrôle du bénéficiaire. En 1980, le législateur estima qu’après tout, le contribuable ferait aussi bien le travail que l’Administration… On met ainsi le doigt sur une des raisons des liftings annuels dont bénéficie notre code centenaire. C’est le plus souvent l’Administration elle-même qui prépare et défend les projets de lois. Le code est son jouet. Pas étonnant dès lors que les intérêts des contribuables ne soient pas toujours la première des préoccupations du législateur.

André Bailleux

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