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Limitation des déductions ou quand la société ne peut plus imputer ses pertes par application de l’article 206/3, §1er al. 2 du CIR/92

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un article paru dans L’Echo du 10 février 2013

 

Après avoir rentré sa déclaration fiscale, une société fait l’objet d’une procédure de rectification, l’administration estimant qu’elle a déduit indument des frais de sorte que le résultat de la société est revu à la hausse et estime que la partie du résultat revu à la hausse et correspondant au rejet de ces frais ne peut être compensée avec les pertes subies par ailleurs par la société.

Gare dès lors aux déclarations fiscales erronées ou rentrées hors délai : le législateur les pénalise en refusant la compensation de la partie du résultat calculé en rectifiant les erreurs commises par la société avec en prime, un accroissement de 10% du montant de l’impôt dû. La note est donc salée pour les entreprises. Mais il faut bien trouver des fonds pour compenser les pertes de recettes fiscales engendrées par les années Covid et la multiplication des faillites.

Le principe pose néanmoins de nombreuses questions.

  1. D’un point de vue procédural, il est nécessaire que la société ait fait l’objet, soit d’une procédure de rectification lors de laquelle la cotisation est enrôlée sur base de revenus autres que ceux qui ont été déclarés, soit d’une procédure d’imposition d’office. Dans cette dernière hypothèse, la société qui a rentré sa déclaration fiscale en retard pourra se voir taxée sur la totalité de son résultat sans pouvoir en déduire le moindre élément : l’impôt sera donc très lourd.

Attention, pour que l’administration puisse refuser la déduction de frais professionnels sur la partie du résultat qui a été majoré suite au contrôle, il est nécessaire qu’elle inflige un accroissement d’au moins 10%. Si elle y renonce, la société pourra déduire de cette partie du résultat calculé suite au refus de la déduction fiscale d’éventuelles pertes qu’elle a subies.

Autrement dit, l’administration rejette en dépenses non admises des frais pour 2.500 €. La société devra payer un impôt sur ce résultat de 2.500 € sans pouvoir en déduire quelque perte que ce soit, outre un accroissement de 10% sur la totalité de son impôt.

  1. Justement, cette obligation d’infliger un accroissement de 10% pour pouvoir appliquer la mesure pose question : l’agent taxateur a la faculté de l’appliquer ou pas. S’il y renonce, il ne pourra ensuite refuser la déduction des pertes sur la partie du résultat nouvellement calculé. Il y a donc une loi fiscale à géométrie variable qui paraît inconstitutionnelle du point de vue de la légalité puisqu’elle devient imprévisible : du bon vouloir de l’agent taxateur dépendra non seulement le retrait d’une sanction (l’accroissement de l’impôt) mais également une imposition. En effet, s’il n’y a pas d’accroissement, l’impôt sera calculé de manière plus favorable.
  2. La disposition n’est-elle pas non plus de nature à créer une rupture d’égalité entre les contribuables ?

L’objectif de la nouvelle disposition vise à inciter les entreprises à rentrer une déclaration fiscale correcte dans les délais. Outre qu’elle risque de viser principalement les PME qui ont tendance à moins bien s’entourer de conseils fiscaux avisés, il y a une différence de traitement entre la société qui rentre une déclaration inexacte et celle qui la rentre tardivement : si la déclaration fiscale est rentrée hors délais et qu’un accroissement de 10% lui est infligé, aucune perte ne pourra être déduite de l’ensemble de son résultat. Aussi, le sort fiscal de cette société est nettement désavantageux et la sanction, dès lors, peut être appréciée comme étant disproportionnée puisqu’elle rompt le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général (lever l’impôt) et la sauvegarde du droit au respect des biens.

  1. Enfin, cette non-imputation est en soi une sanction qui vient s’ajouter à la sanction déjà appliquée qu’est l’accroissement. Si c’est une sanction, il s’agit d’une peine qui devrait pouvoir bénéficier des garanties dont bénéficient des peines pénales : le juge devrait pouvoir la réduire ou accorder un sursis sans doute !

Quoiqu’il en soit, les sociétés qui font actuellement l’objet de contrôle se voient massivement refuser cette imputation. Il s’agit principalement de PME dont on ne s’étonnera plus qu’elles soient décidément les vaches à lait de notre société.

Le législateur serait pourtant avisé de cesser de considérer nos industries comme des bandits de grand chemin mais au contraire, de leur donner des incitants fiscaux à remplir leurs obligations fiscales.

 

Anne-Thérèse Desfosses

Professeur à la CBCEC

atd@wbgj.be

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